Islam et térrorisme

 


  - L'engouement pour la modernité et la transformation des conditions de vie archaïques de ces sociétés ne pouvait que condamner le courant particulariste à rester, politiquement et intellectuellement, longtemps minoritaire. L’aspiration principale des sociétés était de rattraper leur retard et d’accéder aux valeurs de modernité : la liberté, la souveraineté, l’indépendance, la puissance et la prospérité. Aucun courant islamiste ne pouvait espérer dépasser les mouvements nationaux, républicains, constitutionnels, nationalistes et socialistes qui allaient agiter les peuples arabes et musulmans tout le long du XXe siècle.

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Cependant, le rapport de force va changer à partir des années 70 à la suite d’une série de revers subis par le mouvement moderniste, universaliste et laïcisant. L’échec du processus d’unification de certains pays arabes, la défaite cuisante des régimes dits progressistes face à Israël en 1967, la faillite des politiques de développement, l’effondrement des projets de construction de la nation, c’est-à-dire de la mise en place d’un rapport de citoyenneté, la dégénérescence des régimes nationalistes arabes et la corruption sans précédent des élites au pouvoir, tout cela a mis le projet de modernité arabe dans l’impasse, discrédité tous les courants progressistes et laïques arabes et leur philosophie. Il n'y a plus dans les faits, en contradiction flagrante avec les différents discours dominants, ni progrès, ni perspective de vie meilleure, ni liberté, ni droit, ni même respect de l’individu. Lentement, mais sûrement, le courant islamiste prend le relais, apparaissant pour la majorité de la population comme le seul recours possible contre l’échec, l’impuissance, la dégénérescence, la corruption généralisée, la perte de repères et de références.

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Au départ, l’attitude du courant islamiste à l’égard de l’Occident atlantique n’était pas du tout défavorable, bien au contraire. Le rejet par la majorité de l'opinion arabe et musulmane des régimes progressistes et nationalistes en faillite s’est accompagné du rejet de l’ex-Union soviétique en faveur des États-Unis et de l’Europe, qui semblaient être pour les islamistes les alliés naturels contre l’alliance progressiste et « athée ». Cette orientation a été encouragée pendant plusieurs décennies par les gestes positifs des pays occidentaux à l'égard de l'islamisme perçu comme allié contre le communisme.

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Mais ce rapprochement islamo-occidental allait changer très vite après la chute de l’Union soviétique et la fin de la guerre froide. Les mouvements islamistes qui se renforcent comme force d'opposition politique interne vont sans le savoir à l'opposé de la politique occidentale gagnée au Moyen-Orient arabe par le concept de la stabilité et du maintien du statu quo. La guerre du Golfe en 1991 consacre la rupture définitive entre les mouvements islamistes et les capitales occidentales et ouvre une longue période de répression. Les islamistes payent le prix de la nouvelle alliance scellée entre les capitales occidentales et les régimes en place. Leur ressentiment à l'égard de ces capitales s'accroît à la mesure de leur échec face à la guerre que leur opposent les élites au pouvoir. Ils attribuent cet échec au soutien multiforme que l’Occident accorde aux régimes corrompus. D’allié attendu et espéré, l’Occident atlantique se transforme en ennemi rejeté et détesté.

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La crise dans laquelle se trouve le mouvement islamiste, à cause de son échec dans la prise de pouvoir ainsi qu'en raison de la faillite des mouvements qui ont réussi à prendre le pouvoir comme en Afghanistan, Soudan, et Iran à mettre en place un véritable projet de société, favorise l’éclatement, toujours en cours, de l’islamisme en deux tendances : légaliste cherchant à renouer avec l'État et la société moderne, ayant de plus en plus recours aux valeurs de la démocratie libérale, et révolutionnaire minoritaire tendant à s’autonomiser de plus en plus et à se jeter dans une bataille suicidaire et apocalyptique contre l’ordre établi, aussi bien national qu’international. Les attentats contre le Centre du commerce international s’inscrivent dans cette évolution de l’islamisme. Ils rappellent le style des attentats désespérés et sans objectifs politiques définis des derniers groupes islamistes algériens qui continuent encore, à partir de leurs maquis, à sévir contre des innocents dans le seul but de signifier leur résistance et leur refus de capituler.

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Le terrorisme arabo-musulman de ce début de siècle est ainsi le fruit de la dégénérescence du populisme et de l'impasse dans laquelle se trouve le mouvement de modernisation et de démocratisation du monde arabe. Se heurtant à de fortes résistances sur tous les fronts : extension de la colonisation israélienne, sous-développement, démocratisation, coopération, incapable de surmonter ses déboires et de vaincre les difficultés, un populisme bridé et contrarié tente par des feux d'artifices meurtriers de se perpétuer et annonce par là même sa fin. Le terrorisme national cède la place à un terrorisme global dont l'avenir dépend largement de la réponse que la communauté internationale, dans la mesure où elle serait capable de s'organiser, donnera aux grands maux et injustices qui rongent l'humanité.

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Voici, également, l'origine de la crise opposant l'islamisme à l'Occident atlantique qui contrôle étroitement le devenir de la région et non pas à tous les Occidentaux ou aux nations non musulmanes. Tous ceux qui cherchent la clef de l'analyse de cette opposition dans le Coran font fausse route, car ils tentent de comprendre le comportement des musulmans à travers leur texte sacré au lieu de trouver le lien essentiel entre les nouvelles réinterprétations du texte, tant positives que négatives, à la lumière des conditions sociopolitiques, économiques et culturelles dans lesquelles se trouvent les sociétés et les individus musulmans d'aujourd'hui.

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Il en va de même quant à ceux qui bloquent l'histoire du monde musulman sur des schémas figés qu'elle ne pourra pas ou ne devra pas dépasser. Le terrorisme de Ben Laden trouverait ainsi ses origines dans l'action terroriste des Assassins, secte extrémiste de l'islam du Moyen Age. Or le propre de l'histoire est de ne pas s'arrêter et celui de notre histoire contemporaine est d'accumuler en particulier ruptures et bouleversements sans arrêt. Les Arabes et les musulmans d'aujourd'hui n'ont pratiquement, malgré les fausses apparences, rien à partager avec leurs ancêtres, ni dans leurs conditions de vie, ni dans leurs cultures, qui sont totalement transformées, ni dans la géopolitique de l'Islam en tant que communauté et entité politique. De même que le terrorisme n'est le modèle de combat particulier d'aucune nation mais l'instrument de tout pouvoir, étatique ou groupusculaire, tyrannique, en Orient comme en Occident, de même l'appel au combat ou l'engagement dans des guerres ne sont inscrits d'avance dans aucun dogme religieux. L'absence de théorie sur le djihad, à supposer qu'elle existe dans le Coran, n'a pas empêché l'Église de Jésus de se jeter dans d’interminables croisades dont les échos continuent de nous assourdir les oreilles encore aujourd'hui, neuf siècles après.

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