Presse éléctronique

 S

i l’histoire de la presse marocaine a fait l’objet de plusieurs travaux (par exemple, Miège, 1954 ; Aouchar, 1990 ; Baida, 1996) ainsi que la télévision (Zaid, 2009 ; Campaiola, 2014), les débats contemporains restent peu traités, hormis par les acteurs eux-mêmes à travers des témoignages (Daoud, 2007 ; Alaoui, 2012 ; Bensmaïn, 2015), des rapports d’organisations internationales ou encore des débats parfois stimulants mais ne reposant pas sur des enquêtes (El Ayadi, 2006) [1]
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. C’est ce qui explique la normativité de cette littérature consistant souvent à mesurer le degré de « démocratisation » de l’espace médiatique marocain (Naimi, 2016). D’autres approches théoriques dominantes ne nous aident pas non plus à décrire la complexité des entreprises de presse, leurs modes de fonctionnement et les enjeux de pouvoir qu’elles suscitent. Par exemple, les travaux sur la transitologie sont évolutionnistes, croyant à un possible « progrès » et une mutation qui accompagnerait une inéluctable « transition démocratique ». La notion d’hybridité est également avancée par certains analystes (Belghazi, 2005 ; Chadwick, 2013) comme une alternative, puisqu’elle permettrait d’aborder le fonctionnement de systèmes politiques de pays comme le Maroc. Loin de s’appuyer sur ces grilles de lecture trop normatives, générales et ethnocentrées qui laissent aussi souvent croire à une spécificité « culturelle » des pays dits « autoritaires », cette recherche [2]
[2]
 se propose d’analyser les transformations de l’espace journalistique marocain, essentiellement depuis les années 1990, à partir d’une sociologie relationnelle de ses « entreprises de presse » en montrant leur forte dépendance à l’égard des champs politique et économique. Cette perspective relationnelle renvoie à la fois aux travaux de la théorie des champs initiée par Pierre Bourdieu [3]
[3]
 et ceux attentifs à l’économie politique des médias [4]
[4]
. Ce premier état de la recherche sur l’espace des organes de la presse papier et électronique généraliste [5]
[5]
 (ainsi que de celui des dirigeants) s’effectue à partir de cinq entrées principales. La première rappelle l’histoire de la presse non partisane et les trajectoires de la contestation sociale et politique en son sein depuis l’indépendance, montrant comment le champ du pouvoir marocain a tout fait pour restreindre à la fois l’offre de presse et ses publics potentiels. La deuxième décrit, d’une part, l’explosion de l’offre d’informations sur les supports papier depuis les années 1990, et électronique, tout particulièrement depuis 2011, et, d’autre part, l’élargissement progressif de ses publics, tout particulièrement en langue arabe. Les volets suivants prolongent l’analyse de la situation contemporaine au prisme de la restructuration de l’économie très politique de ce petit marché des « entreprises de presse » non partisanes. D’abord, ses faiblesses structurelles expliquent l’intensité des enjeux politiques autour des modes de financements officiels/officieux de la presse et les difficultés à trouver des « modèles économiques » rentables. Ensuite, on retrouve cette interpénétration des champs économique, politique et journalistique dans l’analyse des trajectoires professionnelles, politiques et sociales des principaux investisseurs de cette nouvelle presse, montrant le poids de leur capital politique et social. Enfin, la relative fermeture de ce marché se voit encore davantage à travers l’oligopole de la publicité, en grande partie liée au champ du pouvoir, qui pèse très directement sur le fonctionnement des entreprises de presse.

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